Les phénomènes hypnotiques

Phénomènes hypnotiques : fréquence, difficultés et usages thérapeutiques
Pourquoi certains les vivent peu… et comment les utiliser intelligemment

Cartographie des phénomènes (moteurs, sensoriels, cognitifs), repères chiffrés issus d’échelles, et stratégies concrètes pour les mobiliser en séance (induction, approfondissement, suggestions post-hypnotiques) — sans confondre « spectacle » et « efficacité ».

1) Hypnose : de quoi parle-t-on exactement ?

En pratique clinique, je la décris volontiers comme un réglage de l’attention : on réduit le « bruit périphérique » et on augmente la sensibilité aux suggestions utiles. Les documents institutionnels français décrivent un état de conscience particulier avec une forme d’indifférence relative à l’extérieur et une capacité accrue à recevoir des suggestions — ce qui a le mérite d’être simple, concret, et assez proche de ce qu’on observe en séance.

Conséquence pratique : on peut faire une séance très « efficace » sans phénomènes spectaculaires… et inversement obtenir un phénomène impressionnant sans bénéfice durable. Le cerveau adore parfois faire une démonstration. La thérapie, elle, cherche un changement qui tient.

2) Hallucinations hypnotiques : tout le monde peut-il en vivre ?

Pas de façon fiable, et c’est important de le dire franchement. Les phénomènes de type hallucination (ajouter une perception en l’absence de stimulus) et surtout hallucination négative (ne pas percevoir quelque chose qui est bien là) font partie des items les plus exigeants dans les échelles de suggestibilité : ils existent, mais ils sont minoritaire en population générale.

Hallucination « positive » vs « négative » (repères simples)

  • Positive : ajouter une perception (ex. « entendre » une musique qui n’est pas diffusée).
  • Négative : soustraire une perception (ex. « ne pas voir » un objet pourtant présent).

Et « rêver éveillé » alors ? Imagerie, daydreaming… et VVIQ

L’imagerie mentale (se représenter une scène, un souvenir, un futur) est beaucoup plus fréquente et, en thérapie, souvent largement suffisante. C’est le cousin « naturel » de l’hypnose : on peut travailler avec des images, des sensations et des scénarios internes sans chercher à les rendre hallucinatoires.

Si vous voulez un repère simple et standardisé, le VVIQ (Vividness of Visual Imagery Questionnaire) explore la vivacité des images mentales (yeux ouverts / yeux fermés). Utile pour comprendre un profil (imagerie très vive, moyenne, faible), sans en faire un concours de « bons imagiers ».

3) Repères chiffrés : une échelle de groupe (WSGC, traduction française)

Pour donner un ordre de grandeur concret (et calmer deux illusions fréquentes : « tout le monde hallucine » / « si je n’hallucine pas, je ne suis pas hypnotisable »), voici les pourcentages de réussite item par item rapportés dans des normes (n=150) du Waterloo-Stanford Group Scale of Hypnotic Susceptibility, Form C (WSGC) en traduction française (échantillon francophone, passation en groupe).

Phénomène (item WSGC) Taux de réussite (n=150) Lecture clinique rapide
Main qui s’abaisse (idéomoteur) 88 % Très accessible : excellent « starter » et preuve d’involontarité.
Mains qui se rapprochent (idéomoteur) 70 % Souvent facile : renforce la confiance (« ok, ça répond »).
Rigidité du bras (catalepsie / tonus) 67 % Bon levier d’approfondissement quand on en a besoin.
Immobilisation du bras (inhibition motrice) 54 % Très pédagogique : « ça se fait tout seul ».
« Doigts collés » (inhibition simple) 50 % Classique : utile pour installer un mode « laisser faire ».
Régression d’âge (imagerie / reviviscence) 50 % Possible, mais à manier avec cadre et prudence (mémoire).
Hallucination gustative (goût) 29 % Plus exigeant : dépend beaucoup du canal sensoriel.
Rêve / scène imagée (hypnotic dream) 29 % Variable : utile en thérapie, même sans « rêve » formel.
« Moustique » (hallucination tactile) 26 % Exigeant : bon test de focalisation sensorielle.
Suggestion post-hypnotique (PHS) 30 % Existe, mais mieux vaut viser simple, écologique, testable.
Amnésie (critères WSGC) 23 % Assez exigeant : grande variabilité interindividuelle.
Hallucination négative visuelle 13 % Difficile : minoritaire (et rarement nécessaire en clinique).
Hallucination auditive (« musique ») 4 % Très rare : ne pas en faire un objectif par défaut.
Repères issus d’une passation de groupe (WSGC, traduction française, n=150). Ces taux décrivent une performance à une échelle, pas « la valeur d’une thérapie ».

Sur le score global (0–12) de ce même échantillon, on retrouve : 0–3 : 28,7%, 4–8 : 66,7%, 9–12 : 4,7%. Traduction simple : la majorité des personnes sont « au milieu », et les profils très élevés existent… mais restent minoritaires.

4) Pourquoi certains vivent peu (ou pas) ces phénomènes ?

  • Distribution naturelle : beaucoup de profils « moyens », moins d’extrêmes (ce que montrent les échelles).
  • Attentes et cadre : ce qu’on anticipe (« je dois réussir » / « je vais perdre le contrôle ») peut bloquer le mode expérientiel.
  • Style attentionnel : capacité d’absorption, tolérance au « lâcher-faire », et… absence d’enjeu de performance.
  • Canal sensoriel dominant : certains répondent mieux au corporel, d’autres au visuel, d’autres à l’auditif.
  • Alliance et sécurité : plus c’est sûr, clair, et calibré, plus « l’automatique » se met au travail.

Implication thérapeutique : viser des phénomènes rares (hallucination auditive, hallucination négative) n’est généralement pas nécessaire. L’objectif, c’est un changement utile, pas un « score ».

5) Glossaire : principaux phénomènes hypnotiques (définitions opérationnelles)

Phénomènes attentionnels et subjectifs

  • Absorption : immersion attentionnelle, la périphérie devient moins importante (temps, bruits, sensations non pertinentes).
  • Dissociation subjective : impression qu’une partie « observe » pendant qu’une autre « vit ».
  • Distorsion temporelle : temps subjectif accéléré/ralenti.
  • Involontarité : vécu de « ça se fait tout seul » (moteur, sensoriel, cognitif).

Phénomènes moteurs

  • Idéomoteur : mouvements automatiques (doigts, main qui descend, mains qui se rapprochent).
  • Catalepsie : maintien d’une posture/tonus (rigidité, immobilité stable).
  • Inhibition motrice : impossibilité transitoire de bouger un segment (« comme bloqué »).
  • Lévitation : mouvement ascendant vécu comme automatique.

Phénomènes sensoriels

  • Analgésie : diminution de la douleur (modulation attentionnelle et perceptive).
  • Anesthésie : diminution/absence de sensation (tactile, thermique…).
  • Paresthésie : sensations ajoutées (picotements, fourmillements).
  • Hyperesthésie : intensification subjective d’un canal (sons plus présents, toucher amplifié).

Perception : imagerie ↔ hallucination

  • Imagerie : représentation mentale (souvenir, futur, scène), vivacité variable (VVIQ).
  • Hallucination hypnotique positive : perception ajoutée, parfois vécue comme très réelle.
  • Hallucination hypnotique négative : non-perception d’un stimulus présent (phénomène rare).

Mémoire et cognition (prudence)

  • Amnésie : oubli partiel/total d’un contenu, souvent réversible après levée de suggestion.
  • Distorsion de mémoire : altération du rappel. Attention clinique : certaines pratiques peuvent favoriser des faux souvenirs si le cadre est suggestif ou orienté.

6) Usages stratégiques en thérapie (sans courir après le spectaculaire)

A) Installer un état de travail

  • Démarrer simple : idéomoteurs accessibles → focalisation + vécu d’involontarité.
  • Installer l’absorption via une tâche claire (respiration, scanning sensoriel, comptage, rythme).
  • Langage orienté expérience : « remarquez », « observez », « laissez venir » (plutôt que « croyez »).

B) Approfondir (si nécessaire)

  • Catalepsie / rigidité : utile pour stabiliser et donner une « preuve corporelle ».
  • Inhibition : utile pour installer une dissociation fonctionnelle (« une partie se relâche / une partie observe »).
  • Temps subjectif : utile pour traverser une exposition imagée ou consolider une scène ressource.

C) Suggestion post-hypnotique (PHS) : le bon usage

La PHS peut servir de rappel contextuel : un signal simple (mot-clé, geste, situation) qui réactive un état utile (calme, centrage, action). En clinique, le plus efficace est souvent le plus sobre : simple, écologique, testable. On vise de petits marqueurs observables (« je respire mieux », « je ralentis », « je fais le premier pas ») plutôt que de grands scénarios héroïques.

Note de sécurité : les documents institutionnels français rappellent aussi le risque de faux souvenirs dans certaines pratiques orientées. En clair : en thérapie, on évite de « pousser » la mémoire. On privilégie l’expérience présente, la validation, et l’écologie.

Besoin d’un cadre clair pour utiliser l’hypnose de façon stratégique ?

Si vous cherchez une approche pragmatique (objectif → expérience → validation → généralisation), vous pouvez prendre rendez-vous : Prendre rendez-vous.

Références (majoritairement en français, accès en ligne)

  • Ministère des Solidarités et de la Santé (DGS). (2016). Le point sur : En quoi consiste l’hypnose ? (fiche d’information). PDF : sante.gouv.fr
  • Inserm. (2015). Évaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose (rapport thématique). PDF : inserm.fr
  • Magalhães de Saldanha da Gama, P. A., et al. (2012). Belgian Norms for the Waterloo-Stanford Group C (WSGC) Scale of Hypnotic Susceptibility (traduction française, données n=150). PDF : ULB
  • Santarpia, A., Blanchet, A., Poinsot, R., Lambert, J.-F., Mininni, G., & Thizon-Vidal, S. (2008). Évaluer la vivacité des images mentales dans différentes populations françaises. Pratiques Psychologiques. DOI : 10.1016/j.prps.2007.11.001
  • Marks, D. F. (1973). Vividness of Visual Imagery Questionnaire (VVIQ). (Source historique).
  • Santarpia, A. & Poinsot, R. (2007). VVIQ — traduction française (version électronique). PDF : ResearchGate
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